23 août 2004

Travailler aux USA


Ce matin, forte de mon ardeur au travail, j'envoie un email au planneur stratégique d'un programme sur lequel nous planchons, et la réponse tombe telle un couperet quelques instants plus tard 'Out of office auto-reply'. Mais quelle réponse… 'gone golfing be back August 12'. Certes, on sait bien que sur les terrains de golf se décident les plus gros contrats de la planète, mais, justement, je ne vois pas ce qu'un planneur peut décider de ce coté-la.

Ce qui ne fait que renforcer le constat que, non, en effet, on n'envisage pas exactement le travail de la même façon de ce coté-ci de l'Océan.

Personne en France ne m'avait jamais dit 'Je me sens un peu fatiguée ce matin. Je vais me faire une petite pause shopping, 20 minutes, et je reviens, ça me réveillera'.
Je ne soupçonnais pas non plus qu'on puisse venir avec son chien au bureau - et le poser sur ledit bureau, pour la journée. Note au cas ou vous voudriez essayer - c'est toujours plus facile à faire avec un caniche nain qu'avec un pitbull. Surtout si vos collègues ont souvent besoin de venir récupérer des dossiers sous le chien.
Ma boss ne m'aurait jamais demande de garder son caniche nain sur mon bureau pendant qu'elle partait faire une pause shopping 'pour se réveiller' - en précisant devant mon indécision que je n'avais pas à m'inquiéter parce qu'il avait déjà baptise ses dossiers à elle une heure auparavant… Nota : si elle avait eu un pitbull je pense que j'aurais refuse tout net.
Il était totalement inconcevable pour moi d'envisager de me faire faire une manucure pendant mes heures de bureau… encore moins au bureau, en conference call, haut parleur en marche, et la manucuriste qui s'active sans piper mot sur une main pendant que l'autre s'énerve à égrener les documents dont on cause dans le poste.
Personne n'aurait eu l'idée de dire 'Je ne serai pas au bureau aujourd'hui, je suis partie golfer'. On aurait prétexte une réunion à l'extérieur, un déjeuner d'affaires à la rigueur, on aurait avance de sacro-saintes raisons personnelles, mais jamais au grand jamais le fait d'aller promener ses clubs de golf. Et on n'aurait surtout pas fait une semi phrase façon 'partie golfer. De retour le 12 août'. On aurait enrobe et joliment brode.
La grande cheftaine de l'entreprise n'aurait pas de 'personal assistant' pour lui dire quelle couleur de foulard s'accorde le mieux avec l'iris de ses yeux ou aller chercher ses tailleurs chez le teinturier à 18h30 dans l'Upper East Side - alors que nos bureaux sont MidTown.
J'en passe, et de meilleures ! Je crois qu'on a tous nos petits chocs au bureau !

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Plus généralement, je n'étais pas passée experte ès 'politiquement correct' (PC)…
Quand je suis revenue chez X… cette année (je préfère garder l'anonymat de la société dans laquelle je travaille pour des raisons diverses et variées), une de mes collègues était plus la. Mais ou était-elle passée ? Réponse de la grande boss : elle s'est mariée, et elle voulait consacrer plus de temps à son couple. Réponse de tous les autres, qui ont assiste au départ : elle s'est fait virer.

Le politiquement correct excelle dans les tournures employées pour annoncer un licenciement. Société Y, années difficiles post krach de l'internet business : 'Mr. X will be winding up his duties on the Professional Services team at the end of this week. Unfortunately, the projects department does not have sufficient work to allow us to maintain our current staffing. During his two and a half years with Y, X has helped guide us through some challenging projects (…) His personal and professional responsiveness to these customers help us finalize the projects while maintaining good customer rapport. Thanks, X for a job well done!'. En d'autres termes 'on t'aime bien, mais on n'a pas le sou, tu coûtes cher, donc fais ton carton sans rechigner'. Fallait-il vraiment embellir autant pour dire cela ?

Et le mieux, le voici : e-mail annoncant le licenciement de Monsieur X travaillant pour la société Y : "As some of you know, Y has successfully impleted Tasks 1 thru 6 of the xyz project at XXX in the past few months. It has been a challenging and rewarding project for Y over the past few years. As the core project winds down, I want to thank the entire Y team for their help in making this important project a success. In particular, I want to thank X for his stewardship in his role as Project Manager. It is not easy to steer and manage such a complicated set of tasks - especially given the entrepreneurial nature of our company and the bureaucractic nature of the customer. Well done, X!
Substantively, the project has reached a significant end point, so X will be winding up his role with Y at the end of this month. He will spend the next few weeks tidying up loose ends. I know you'll join me in wishing X every success as he looks for another project opportunity where his contributions are bound to lead to another success story."
Pour moi, c'est un monument de politiquement correct. "Machin, tu es le plus intelligent, le meilleur, le plus fort, le plus beau. Bon, maintenant vas voir ailleurs si tu peux être utile, parce que là tu nous coûtes vraiment trop cher maintenant que le projet est terminé."

Le politiquement correct s'insinue dans tout, du matin au soir. L'employé PC arrive le matin avec un sourire ultra bright pour vous demander comment vous allez - sans en attendre la réponse d'ailleurs, tout est matière de protocole PC… Tout doit briller. Le bureau de l'employé PC est un miracle de propreté, cela va sans dire.

Quand l'employé PC a un souci parce que la réponse du client se fait bien trop attendre pour pouvoir ensuite respecter les délais impartis, employé PC ne perd pas son sang froid en hurlant que l'autre crétin ferait mieux de se bouger, et rapidement, sinon il va l'avoir dans l'os - et je suis polie. Non. L'employé PC e-maile ou téléphone, de la façon la plus délicate 'dear customer, please kindly note that in order to keep on with the delivery, we would need your final comments by the end of the day. Thank you for your understanding.' Et l'employé PC ajoutera même à la fin 'Have a good day'. Alors que nous, on espère, à la limite, que les méchants de l'autre cote du poste, vont se prendre les pieds dans le premier tapis qui vient, et s'y casser le nez, et ce sera bien fait parce que nous, entre temps, on risque de se faire taper sur les doigts… C'est à n'y rien comprendre.
Le PC a cela d'apaisant pour le Français qui démarre au quart de tour de lui apporter la tempérance qui lui fait défaut. Mais autant cette tempérance peut être salutaire à quelque Américain surstressé et overbooké, autant le Français rageur finit par bouillir devant tant de mièvrerie affichée.

Moralité ? La prochaine fois que je n'ai pas envie de sortir de mon lit pour aller braver le vaste monde, je dirai que j'ai un rendez-vous immanquable avec mon personal trainer, pour faire une manucure avant d'aller golfer. Mais je le dirai avec le sourire ultra bright : sinon ce n'est pas politiquement correct…

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